05 janvier 2009

Biarritz 2008


Un « abrazo » de Biarritz 2008

Le festival de cinémas et cultures latino-américaines s’est terminé le 5 octobre dernier sous le soleil.
La partie cinéma comportait un important volet consacré au cinéma documentaire avec une rétrospective des 10 films primés ces dernières années et 14 documentaires en compétition. On peut retenir en particulier le grand prix « Entre a luz e a sombra » un très long film de 2h37 sur les prisonniers de Carandiru (Sao Paulo) qui suivent des cours de théâtre et créent un groupe de rap qui porte le nom de leur cellule, ainsi que « La matinée » de Sébastian Bednarik (Uruguay) sur une « Murga » (théâtre musical satirique) qui se déroule pendant le carnaval, interprétée par des septuagénaires.
Côté courts métrages, il faut retenir « Oigo tu grito » (Paraguay) , un plan fixe de 12 minutes par Pablo Lamar, « Ofelia » (Pérou), la rencontre d’une petite fille et d’une poupée sur un affluent de l’Amazone, « Café con leite » (Brésil), la difficile relation entre un couple de jeunes hommes et le petit frère de l’un d’eux. Enfin, « El deseo » (Mexique) de Marie Benito, « Abrazo » du court métrage, raconte le réveil du désir chez une femme de la cinquantaine suite à l’abandon de son mari.
La compétition long métrage mettait surtout l’accent sur la découverte de nouveaux talents à côté de quelques cinéastes déjà connus.
« Cyrano Fernández » d’Alberto Arvelo (Venezuela). Dans les « barrios » de Caracas, Cyrano ne pense qu’à faire régner l’ordre et le bien. Pour un ami, il écrit des lettres d’amour à celle qu’il aime en secret…. C’est une drôle d’idée d’adapter Cyrano de Bergerac au monde d’aujourd’hui. Cette façon de mêler lettres d’amour, désir de paix et de violence n’est pas vraiment crédible. Par contre, le film vaut par sa manière de filmer les bidonvilles de Caracas.
« Paisito » d’Ana Diez (Uruguay- Espagne). Nous sommes à Montevideo en 1973. Deux enfants Rosana et Xavi sont amis : l’une est la fille du chef de la police, l’autre, fils d’un émigré espagnol. Juste avant le coup d’Etat, le chef de la police est enlevé par les Tupamaros et disparaît. Vingt ans plus tard, en Espagne, Rosana va retrouver Xavi, footballeur en fin de carrière. Pour son premier film de fiction, la réalisatrice a réussi une œuvre sensible et tendre même si elle parait par moment un peu invraisemblable. A découvrir.
« Os desafinados » de Walter Lima Jr (Brésil). 1962, des jeunes créent un groupe de bossa-nova et vont tenter de faire fortune à New-York. Nous suivons ces musiciens, un cinéaste et leur rencontre avec une chanteuse compatriote, le retour au pays où l’espoir a laissé la place à la tristesse depuis le coup d’Etat, et où le voisin, l’Argentine est au bord de la dictature. Beaucoup de bossas-novas, un extrait d’un des premiers films du réalisateur qui fut aussi assistant de Glauber Rocha pour « Le dieu noir et le diable blond », un film, basé sur des faits réels, où l’on se laisse porter.
« Estómago » de Marcos Jorge (Brésil-Italie). Raimundo travaille dans un petit restaurant où il est remarqué par un Italien qui va lui apprendre la grande cuisine. Lorsqu’il se retrouve en prison, il comprend qu’il y a ceux qui mangent et ceux qui se font manger. L’originalité du film, qui est presque une comédie, est qu’il se déroule en grande partie dans une prison où règnent surpopulation et promiscuité. Prendre alors le pouvoir est primordial. Un beau premier film.
« Incómodos » d’Esteban Menis (Argentine) n’a pas le talent des films de Maria Victoria Menis. Voici le voyage « grotesque » de trois personnes vers Miramar. S’il nous a laissé insensible, la salle semblait souvent participer.
« Cosas insignificantes » premier film d’Andrea Martínez (Mexique). Le film tourne autour du coffret que possède la jeune Esmeralda qui contient des choses sans valeur. Cette boîte nous permet de croiser plusieurs personnages autour d’un vieux pédiatre, un médecin, un photographe, une bourgeoise et son fils malade… Le film a obtenu le prix du public pour son aspect touchant et sensible. Mais il est un peu trop fabriqué pour que l’on croie vraiment à cette incommunicabilité entre les êtres.
« Dioses » de Josué Méndez (Pérou) à qui l’on devait, en 2004, le très beau « Días de Santiago », disponible en DVD. Le film raconte une histoire de famille dans la société huppée de Lima. Evidemment, ils vivent dans une bulle loin du monde social ou économique. Le film a obtenu l’« Abrazo » du meilleur long métrage. On peut se demander pourquoi le jury a retenu ce film mal joué, où le réalisateur n’aime pas ses personnages, à moins qu’ils ne le fascinent.
« La buena vida » d’Andres Wood (Chili). Le réalisateur du célèbre “Machuca” (2004) revient à un sujet contemporain. Edmundo, jeune clarinettiste voudrait rentrer à la philharmonique mais se retrouve dans une fanfare militaire. Teresa, qui travaille au planning familial, vit mal son divorce et le fait que sa fille de 15 ans vienne de tomber enceinte. Mario a quarante ans et est coiffeur comme son père. Il vit chez sa mère et voudrait acheter une voiture. Ces personnages ne se connaissent pas même si parfois ils se croisent dans la rue ou dans le bus. Le film a obtenu les prix d’interprétation masculine et féminine. Les personnages sont fouillés, intenses et les acteurs les font très bien vivre. Un film sur lequel nous reviendrons au moment de sa sortie en salles.
« La rabia » d’Albertina Carri (Argentine). Dans la pampa, s’affrontent deux hommes, Poldo dont la petite fille est muette et le fermier Pichon, père violent qui a importuné la petite fille. Les coups de feu partent très facilement. Les relations entre le sexe, « la petite mort » (L’orgasme) et la violence sont omniprésentes. Après « Geminis » (2005), le film a sensibilisé le jury des jeunes Européens qui lui a accordé son prix.
« Perro come perro » de Carlos Moreno (Colombie). A Cali, à la suite d’un cambriolage qui a mal tourné, Victor et Eusebio attendent dans une chambre d’hôtel minable les ordres d’El Orejón pour retrouver le magot… A partir d’un sujet de thriller, le film, même s’il est un petit peu violent – violence plus suggérée que montrée d’ailleurs- est en fait très drôle avec ce parrain qui utilise les cultes vaudous et les maléfices pour mener ses affaires, avec ces morts qui reviennent hanter les vivants. Une bonne surprise.
Le festival mettait aussi l’accent sur le cinéma uruguayen qui s’est développé depuis le début des années 2000.Il était possible de voir « Masangeles » de la douée Béatriz Flores Silva, « Estella del sur » ou « La perrera », ainsi que les reprises de « Whisky » et « 25 watts ».
Le festival a proposé un ciné concert sur un film muet argentin « Expedición Argentina Stoessel », l’épopée de deux frères qui décident de relier Buenos Aires à bord d’une chevrolet, en 1929 : Traverser des montagnes, des fleuves, se diriger là où il n’y a pas de routes. Une belle histoire mise en musique par le compositeur argentin Santiago Chotsourian accompagné de onze musiciens de l’orchestre régional Bayonne-côte-Basque.
En clôture, était présenté le dernier film de Daniel Burman « El nido vacío », moins riche que « Esperando al Mesías » malgré une belle interprétation. Le film évoque la vie d’un couple de quinquagénaires dont la maison se retrouve vide après le départ de leurs enfants. Si Martha réagit en s’inscrivant à l’université, Leonardo, dramaturge à succès se replie sur lui-même et entreprend un voyage onirique vers ses désirs.
Cette année, la section cinéma s’était dotée d’un nouveau sélectionneur, Jean Christophe Berjon, responsable de la semaine de la critique à Cannes que nous avons interrogé et qui a mis l’accent sur les nouveaux talents de l’Amérique Latine.

Question : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au cinéma latino-américain ?
Réponse : D’abord des liens familiaux, puisque je suis marié avec une Mexicaine et que je vis beaucoup là bas. Quand on s’occupe des films à Cannes, on voit 800 films du monde entier et on n’a pas le temps d’approfondir un continent en particulier. Avant, pour moi, ce cinéma était flou, j’ai envie de le redécouvrir. Je suis intéressé de connaître le patrimoine, les racines, le passé précolombien, l’aspect religieux des cultures latino-américaines et aussi le rejet de la philosophie nord-américaine. En Amérique latine, il y a beaucoup de nouveaux cinéastes, plus que partout ailleurs. C’est une forme de cinéma qui explose depuis quelques années. Il est de notre devoir et de celui du festival de Biarritz de communiquer notre conviction, pour aider ces cinéastes à se faire connaître e t à pouvoir réaliser leurs films.
Q : Pourquoi avoir mis l’accent sur le cinéma uruguayen ?
Réponse : C’est symbolique. C’est un tout petit pays qui digère tout ce qu’il y a autour. Avant, il n’y avait qu’un film tous les deux ans. Depuis le début des années 2000, nous voyons de jeunes cinéastes réaliser cinq films par an. Un cinéma naît : pas un cinéma qui renaît mais qui commence à naître parce qu’il n’existait pas avant.
Q : Il y a beaucoup de premiers films cette année ?
Réponse : Les cinéastes latinos ont besoin de vitrines pour montrer toutes leurs énergies. Quand il y a des films de cinéastes reconnus, et qu’ils sont bons, ils sont sélectionnés par les grands festivals. Notre rôle est donc de regarder attentivement les premiers films. Alors on peut être moteur pour les aider et les faire connaître.

Propos recueillis par Alain Liatard au festival de Biarritz.



Un nouveau film argentin vient de sortir en salle en catimini, « El otro », premier film d’Ariel Rotter.
Un avocat, dont la femme est enceinte et qui s’occupe de son vieux père, doit aller à Victoria rencontrer un notaire. Là bas, il décide de ne pas retourner à Buenos Aires. Il va rencontrer diverses personnes, des jeunes qui représentent la vie et des vieux, la mort. Lui, qui a quarante-cinq ans, se retrouve juste au milieu. Ainsi, il s’offre une parenthèse, comme un gamin qui aurait séché l’école. Il sait qu’il devra un jour, soit disparaître vraiment, soit reprendre le cours de son existence. Ce film qui a été primé au festival de Berlin, cette année, présente une belle interprétation de Julio Chavez. Même s’il est un peu lent, il n’est pas normal qu’il passe complètement inaperçu.
Alain Liatard