10 mars 2008

El bano del Papa


Ciné en construction


Le Festival Internacional de Cine de San Sebastián et les Rencontres Cinémas d'Amérique Latine de Toulouse se sont associés en 2002 pour organiser une section "Cinéma en Construction" réservée à des films latino-américains, longs métrages de fiction nés d'une démarche indépendante et contraints d'interrompre leur cours au stade de la postproduction, faute des moyens nécessaires.
Cette initiative née répond à une demande pressante des producteurs et réalisateurs latino-américains confrontés aux difficultés de la finalisation de films tournés avec de tout petits budgets et à force d'ingéniosité. Si la créativité des auteurs ne fait pas défaut, il reste que des budgets complémentaires sont nécessaires pour que ces œuvres artistiques libres et indépendantes, réalisées au prix d'immenses efforts puissent se présenter dans leur format 35 mm aux sélections des festivals de par le monde, accéder aux réseaux de distribution commerciale en salles, être ainsi exposées aux regards des publics qui les feront vivre.
La création cinématographique menacée par la crise aiguë qui gagne actuellement la plupart des pays du sous-continent a plus que jamais besoin de soutiens européens pour continuer à exister et à alimenter la nécessaire diversité culturelle.
Au moment où la peur du lendemain et la précarité réduisent les échanges avec le monde et où le danger de repli et d'enfermement guette tous ces pays, les festivals de San Sebastián et de Toulouse ne se résignent pas et, sans condescendance, ont résolu de contribuer à la construction des cinémas de l'autre Amérique.
"Cinéma en Construction" montre une sélection de films inachevés à un public de professionnels réunissant les différents maillons de la chaîne production-distribution/diffusion, dans le but de faciliter les contacts entre les uns et les autres pour que vivent les cinémas d'Amérique Latine dans des formes et des thèmes renouvelants.


El baño del Papa ou l’histoire d’un film « en construction »

Le film El baño del Papa primé en 2006 à Toulouse est le paradigme du film subventionné par Cine en construction: quand Enrique Fernández et Cesar Charlone, les deux réalisateurs, se lancent en 2005 dans l'aventure, ils n'imaginent pas fouler, un an plus tard, le tapis rouge de Cannes, en lice pour la Caméra d'Or.
Il est 19h à Melo, Uruguay. Entre chien et loup. A Paris, la nuit est déjà noire et on frissonne sous les toits. La voix lointaine d’Enrique, 55 ans, est rauque mais le ton guilleret et agréable.
"Tout commence en septembre 2005" engage-t-il. Le tournage du film, débuté en 2002, et qui aura troublé plusieurs mois la torpeur habituelle du hameau de Melo, est achevé. Les acteurs, de simples villageois pour certains, ont été payés. Les frais remboursés. "Il ne nous restait plus alors qu’à monter les rushs pour entamer la phase de diffusion du film". Malgré quelques financements dégotés auprès des sociétés de production locales Ibermedia et Uruguay Montevideo Social Audiovisual, la quasi-inexistence d’un réseau de diffusion cinématographique national laisse entrevoir peu de débouchés au film. "A la fin du tournage, il ne nous restait plus rien pour la promotion du film… nous n’avions aucun moyen de le diffuser et en Uruguay trouver des fonds complémentaires n’est pas une mince affaire ! " explique Enrique Fernández.
Presque naturellement, la décision de présenter le film en Europe pour obtenir des aides s’impose. "En Uruguay et en Amérique latine en général, les réalisateurs savent très bien qu’ils doivent se tourner vers l’Europe pour décrocher des subventions, ça n’a rien d’extraordinaire… c’est un passage obligé ! " Serge Catoire, l’un des producteurs français de El baño del Papa, touché par "la qualité du scénario, l’enthousiasme et la détermination" de l’équipe, l’a rejointe dès 2002. "Je venais juste de créer Chaya Films, ma société de production, en 2001… C’était pour moi un prolongement logique de mon activité de directeur de production ! " En collaboration avec Elena Roux, la productrice uruguayenne du film, il en réalise un premier montage et concoure à différents festivals européens. À l’automne 2005, El baño del Papa est présenté une première fois au jury de Cine en construction. "Le dispositif de Cine en construction est très astucieux et très opérationnel, explique Serge Catoire, il permet d’aider la postproduction d’un film de long métrage en se basant sur des images (rushes et pré montage) et non pas sur du papier (script, scénario)… ça paraît évident mais c’est extrêmement rare ! " Malheureusement, le film est refoulé. "Nous étions alors simples postulants et le montage était vraiment très mauvais!" reconnaît aujourd’hui le co-producteur. Mais "la bienveillance de l'équipe du festival nous a autorisé à renvoyer un second montage et nous avons pu participer à la session toulousaine de 2006" poursuit-il.
Cette fois, l'accueil du film "amélioré" fut tout autre et, à la clef, une jolie récompense : le prix Cine en Construction n°9 de Toulouse. Ce dernier allait marquer le début d'une collaboration étroite entre l'équipe du film, Toulouse et Saint Sébastien. Rapidement, le sous-titrage et une bande-annonce sont réalisés par le truchement des deux Festivals. "Ce sont peut-être des détails mais les sous-titres par exemple sont indispensables pour une bonne distribution mondiale" commente Enrique Fernández. Une subvention de 30 000 euros est également débloquée en espaces publicitaires, 35 copies du film sont réalisées et une somme de 20 000 euros est allouée pour l’achat de matériel vierge (pellicules, caméras…etc.). Même si, nuance-t-il, "l’aide financière de Cine en construction est très modeste" car elle ne représente finalement qu’une petite partie du budget global, elle a été « essentielle» à la vie et la pérennité du film. "Gagner le prix Cine en construction a été un gage de valeur en Europe" souligne M. Fernández et "nous a ouvert de nombreuses portes". C’est peu dire. A l’été 2007, El baño del Papa est sélection officielle de la section cannoise Un Certain Regard. "Le festival de Cannes a été un moment extraordinaire ! Le film a été très bien accueilli et une demie douzaine de pays en a acheté les droits de diffusion. " C’est le cas de la Corée, l’Angleterre, la Suisse et les Pays Bas. Depuis, El baño del Papa fait son bout de chemin. Le 3 août 2008, après trois années et autant de traversées de l’Atlantique, c’est la sortie officielle1 du film en Uruguay, son pays natal : il restera à l’affiche jusqu’en décembre et fera 800 000 entrées, un record.

El baño del Papa, de Enrique Fernández et Cesar Charlone, avec Cesar Troncoso et Virginia Mendez, 2007, 1h35.

Nous sommes en 1988, et Melo, petite ville uruguayenne à la frontière brésilienne, attend fébrilement la visite du pape Jean-Paul II. On commence à annoncer des centaines de visiteurs, des milliers, disent les médias. Les habitants savent ce que signifient 50.000 pèlerins en quête de nourriture, boissons, drapeaux, souvenirs, médailles commémoratives ... Remplis d’espoir, les villageois espèrent partager la bénédiction divine et recueillir le fruit de leurs ventes. Beto, notre héros, pense avoir trouvé la meilleure source de revenus : “Les Toilettes du Pape”, où les milliers de pèlerins pourront venir se soulager.