26 septembre 2008

Cannes 2008


L’Amérique latine au festival de Cannes 2008
La reconnaissance du cinéma latino progresse chaque année à Cannes. Pour cette grande fête du cinéma où pour la première fois depuis 21 ans la Palme d’Or a été attribuée à un film français, « Entre les murs » de Laurent Cantet et où le cinéma européen a été plutôt bien représenté au palmarès, le cinéma d’Amérique latine était proposé quatre fois en section officielle. Il repartira d’ailleurs avec le prix d’interprétation féminine pour Sandra Corveloni, dans « Linha de passe » de Walter Salles.
Deux films argentins étaient en compétition montrant ainsi la vitalité de ce cinéma. « Leonora » est le cinquième film de Pablo Trapero dont on connaît « El buenaerense », 2002 et « Nacido y criado », 2006. Julia 26 ans, enceinte, découvre chez elle le corps du père de son enfant. Elle est incarcérée dans une prison spéciale pour jeunes mères où elle vivra de bons moments de bonheur avec son enfant jusqu’à l’arrivée de sa belle-mère. Tourné dans une vraie prison, le film a demandé une très longue préparation. Marina Gusman, épouse du réalisateur joue ce rôle très riche de mère prête à tout pour se défendre. Elle aurait mérité de figurer au palmarès.
« La mujer sin cabeza » est le troisième film de Lucrecia Martel après « La cienaga », 2001 et « La niña santa », 2004. Une femme au volant de sa voiture heurte un corps étranger et ne s’arrête pas. Peu à peu, traumatisée par cet événement, elle va s’abstraire de son entourage puis du monde. A partir de ce sujet bien joué par Maria Onetto, Lucrecia Martel n’arrive pas à sortir de la thématique de cette grande bourgeoisie argentine où excellait dans les années 50 Leopoldo Torre Nilson.


« Linha de passe » est le sixième film de Walter Salles dont trois sont cosignés par Daniela Thomas. Tout le monde se rappelle de « Central do Brasil », 1998 et de « Diarios de motocicleta », 2004.
Le film se passe à Sao Paulo. Au milieu de ses 22 millions d’habitants et de ses 300 kms d’embouteillages quotidiens, nous suivons une famille composée de quatre fils. L’aîné est le seul à travailler ; le second se réfugie dans la religion ; le troisième rêve d’une carrière de footballeur mais à 19 ans il est peut-être déjà trop vieux ; le plus jeune cherche son père chez tous les chauffeurs de bus. Leur mère, femme de ménage, élève seule ses 4 enfants nés de pères différents et est à nouveau enceinte. C’est elle qui essaie de garder l’unité de cette famille. Réellement enceinte au moment du tournage, elle va perdre son bébé quelques mois plus tard. Sandra Corneloni, qui n’est pas une actrice professionnelle a obtenu le prix d’interprétation féminine. Nous reviendrons sur ce film au moment de sa sortie en France, en octobre.
Fernando Meirelles, le réalisateur brésilien de « Cidade de Deus », 2002, présentait en ouverture un film en anglais, et en japonais, « Blindless », sur une épidémie de cécité qui se propage à une vitesse fulgurante.
Enfin nous ne pouvons terminer ce panorama latino de la compétition officielle sans parler de « Che » de Steven Soderbergh. L’acteur portoricain Benicio Del Toro était l’origine du projet de ce dyptique sur le Che financé par des producteurs européens . La première partie se déroule à Cuba de 1956 au 1° janvier 1959 date de la prise de La Havane par Fidel Castro. On y suivra un Che d’abord médecin puis « comandante » et enfin héros révolutionnaire. La seconde partie suit la campagne de Bolivie de Che Guevara en 1966-67 : ténacité, sacrifice, idéalisme et héroïsme qui aboutiront à la mort. Le film n’est pas une superproduction hollywoodienne mais plutôt une œuvre sur un groupe d’hommes. Bien sûr tout n’est pas abordé au cours de ces 4h28, en particulier le rôle de Che Guevara au début des années 60, ni vraiment ses relations avec Fidel ou Raul Castro. Ici c’est plutôt le révolutionnaire qui veut aider le peuple à s’émanciper qui est décrit dans la première partie. Et dans la seconde, c’est le symbole de l’idéalisme qui perdurera à travers le monde. Pour un tel rôle, il était certain que Benicio Del Toro concourrait pour le prix d’interprétation. Il l’a obtenu. Bravo !
Dans la section « Un certain regard », nous avons vu le second film du mexicain Amat Escalante (après « Sangre », 2005). Deux mexicains sans papiers viennent travailler aux Etats Unis où ils gagnent une misère jusqu’au jour où on leur propose un travail beaucoup plus rémunérateur, un assassinat. Comme dans son film précédent, il s’agit ici encore d’un film à la fois distancié, lent et violent. Ces termes peuvent paraître contradictoires mais Escalante est vraiment un cinéaste à part.
« A festa da menina morta » est le premier film du brésilien Matheus Naschtergaele. Il raconte l’histoire de Santinho, auteur d’un « miracle » lors du suicide de sa mère. Il devient le chef spirituel d’une secte de la région amazonienne. Beaucoup de chants et de musique rythment ce film original qui va chercher son inspiration du côté de Glauber Rocha.

« Tony Manero » est le second film du chilien Pablo Larrain, présenté à la « Quinzaine des réalisateurs ». Nous sommes en 1978 sous la dictature de Pinochet et Raul Peralta, un homme d’une cinquantaine d’années, est obsédé par Tony Manero, le personnage qu’incarne John Travolta dans « La fièvre du samedi soir ». Pour passer à la télévision en imitant son idole il commettra une série d’actes qui permettront à la police d’arrêter ses partenaires impliqués dans des activités clandestines. Pablo Larain a voulu montrer comment une société est incapable de regarder son Histoire en face, et qui bien qu’ayant les mains tâchées de sang, essaie de briller, prête à danser sous les sunlights. Il montre un pays qui tourne le dos à lui-même pour des rêves américains. Malheureusement si les intentions du réalisateur sont évidentes, la réalisation est brouillonne et pas très convaincante. Il sera nécessaire de revenir sur ce film au moment de sa sortie en France à l’automne.
Autre film, celui-ci est uruguayen qui devrait sortir en France, « Acne » de Fernando Veirog. Rafael, 13 ans, est amoureux de sa camarade de classe mais il ne sait pas comment s’y prendre, se débattant avec ses boutons, un sentiment d’insécurité et le divorce imminent de ses parents.
Nous n’avons pas vu « Liverpool » de l’argentin Lisandro Alonso à qui l’on devait « Los muertos », 2004, ni « Salamandra » le premier film de Pablo Aguero, tournés tous les deux en Patagonie.
Pablo Fendrik, présentait à « La semaine de la critique » « La sangre brota ». A Buenos Aires, une famille se déchire. Pourtant Arturo, le père paraît être un chauffeur de taxi tranquille. Mais vont se révéler peu à peu les tensions, les liens de répulsion ou de possession qu’entretiennent entre eux les membres de cette famille. Evidemment il s’agit aussi d’une certaine vision de l’Argentine de ces 10 dernières années.

Revenons au Mexique largement présent à Cannes par ses courts-métrages, ses coproductions et le film de clôture de « La semaine de la critique », « Desierto adentro » de Rodrigo Plá. Ce film est complètement différent de « La Zona » qui connaît une belle carrière. Au cœur du Mexique rural des années 30, Elias est convaincu que pour expier son péché contre Dieu, il doit lui construire une église. Bien sûr nous pensons tout de suite au réalisme poétique de Garcia Marquez ou au sujet du film de John Ford « Dieu est mort ». Ici cohabitent le quotidien d’une famille abandonnée à elle-même, des visions d’un enfant qui peint des ex-voto (avec de superbes séquences d’animation) et la peinture d’un pays déchiré par des luttes entre la religion et l’Etat. Si le récit est raconté par l’enfant c’est la folie du père qui entraîne cette croisade impossible pour se racheter auprès d’un dieu cruel. Par sa mise en scène, son souffle narratif, Rodrigo Plá est un cinéaste sur lequel il faut désormais compter.
L’Amérique latine était donc fortement présente à Cannes cette année, avec surtout trois de ses pays à la belle production que sont l’Argentine, le Brésil et le Mexique.
La plupart de ces films devraient être heureusement diffusés en France et nous reviendrons sur certains d’entre eux à ce moment-là. Mais leur carrière sera rapide et courte. N’hésitez pas à les découvrir.