12 juin 2007

Le cinéma mexicain primé à Cannes 2007


Carlos Reygadas est vraiment un phénomène unique. Cet ancien avocat international est passé au cinéma en 2003 avec "Japon", film qui avait fait son petit scandale à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs. Du Japon, il n'en était pas question, mais des relations entre un vagabond et une vieille femme. Nouveau scandale il y a deux ans avec "Batalia en el cielo", l'histoire d'un couple encore, qui tue un enfant. Le film se termine par une étonnante séquence à Notre Dame de Guadalupe. Cette année il est encore question de religion, puisque "Stellet licht" (Lumière silencieuse) se passe dans une communauté ménomite (comme les amish) située dans l'état de Chihuahua. Ils ont une langue particulière, s'habillent et vivent différemment loin de la civilisation moderne. Ici l'homme aime dans la douleur deux femmes, dont l'une mourra de chagrin. Le film est une citation directe du cinéaste danois Carl Dreyer, en particulier "Ordet". Il a obtenu le prix du jury ex aequo, il devrait sortir en octobre.

La section "Un certain regard" présentait trois films latinos et un espagnol..
"El baño del papa" de Enrique Fernandez et César Charlone, est un film uruguayen réalisé à deux mains comme l'était déjà "Whisky". A l'annonce de la visite du Pape dans leur village, les habitants de Melo y voient une événement miraculeux. N'attend-on pas 500 000 personnes venues de tout le pays et aussi du Brésil. Tous ces touristes auront besoin de nourriture, mais aussi de toilettes. Tout le village se met au travail.. C'est vraiment la vie d'une collectivité que nous propose ce film drôle ( on ne rit pas beaucoup dans le cinéma latino) et très bien interprété.

"Calle Santa Fé" est un long documentaire (2H43) de Carmen Castillo, sur l'histoire du MIR chilien. Sous Allende, Carmen Castillo était la compagne de Miguel Enriquez secrétaire du MIR, tué au cours de l'attaque de leur maison située Calle Santa Fé, le 5 octobre 1974, dans les faubourgs de Santiago du Chili. Retournant sur les lieux aujourd'hui, la réalisatrice s'interroge sur le sens des luttes actuelles alors que le Chili paraît frappé d'amnésie.

"Una novia errante" est le second film d'Ana Katz (Argentine) qui interprète aussi le rôle principal.
Inès, suite à une dispute avec son compagnon, se trouve toute dans une station balnéaire déserte. Hors saison, elle rencontre quelques personnes qui ont décidé de vivre là. Le film reste au plus près d'Ana et des personnages. La station balnéaire est bien loin, et l'on découvrira la plage qu'à la fin du film.

"La soledad" est le second film du catalan Jaime Rosales. Une jeune femme vient à Madrid avec son nouveau né. Un attentat terroriste va briser sa vie…La particularité du film est que très souvent l'image est coupée en deux, mais garde la même action. Par exemple, à gauche Adela est assise sur son lit, et à droite on voit la porte de l'appartement fermée. Ce style créé un malaise qui partage beaucoup les spectateurs.

Dans la section de la Semaine de la critique, pas moins de six films latinos étaient présents.
"XXY" est le premier film de Lucia Puenzo fille du célèbre cinéaste argentin, à qui l'on doit en particulier "L'histoire officielle". Alex, une adolescente de 15 ans, porte un lourd secret, et ses parents ont décidé de s'éloigner de Buenos Aires. Ils reçoivent un couple dont le mari est chirurgien esthétique, accompagné de leur fils de 16 ans. On va découvrir qu'Alex est hermaphrodite, c'est-à-dire un monstre pour ses compagnons de jeu et une malade dans le développement de sa puberté. Le film peint aussi la complexité du passage à l'âge adulte. Quel regard porte-on sur ce que l'on considère normal ou anormal ? La réalisatrice nous présente un film sensible et très attachant..

"A via láctea" de Lina Chamie (Brésil), nous montre Hector, professeur de littérature et écrivain, au milieu des embouteillages monstres de Sáo Paulo. Il y évoque sa vie de quadra, sa rupture avec Julia, ses émotions et ses souvenirs. Tout cela, très touffu est un assemblage visuel et sonore qui peine à nous convaincre.

"Párpados azules" (Mexique) est le premier film d'Ernesto Contreras. Marina, jeune femme solitaire gagne un voyage pour deux à la mer. Elle ne sait pas avec qui partir. Même sa sœur pose des conditions inacceptables. Elle rencontre un ancien camarade de lycée, qu'elle a complètement oublié d'ailleurs, et faute de mieux, lui propose de l'accompagner. Victor n'a rien du prince charmant, du latin lover, c'est plutôt le double de Marina… Cette histoire est racontée avec beaucoup de simplicité et de finesse, et porte un regard doux amer sur cette histoire bien particulière.

"El asaltante" de Pablo Fendrik (Argentine) traite un moment très particulier d'une vie banale. Nous ressentons le désarroi, la solitude, le quotidien, la précarité de ce personnage.

"Malos Hábitos" de Simon Bross (Mexique), est l'histoire d'une famille, où la foi, l'amour et la vanité sont mises à l'épreuve dans une salle à manger. C'est une œuvre à multiple facettes, profondément mexicaine, pleine de démesure.

"Déficit" (Mexique) est le premier long métrage du comédien Gael Garcia Bernal, révélé par "Amores perros" en 2000. Il filme une "party" de gosses de riches qui s'amusent comme ils peuvent pour tuer le temps. Certains y ont trouvé un air à la Tchekhov, ce serait plutôt, selon d'autres, du Buñuel mal compris !

La Semaine de la critique présentait aussi deux films espagnols :
"Yo" de Rafael Cortes est l'histoire d'un ouvrier allemand à New York.

"El orfanato" de Juan Antonio Bayano. Produit par Guillermo Del Toro, le réalisateur du "Labyrinthe de Pan", voici un film de genre réalisé par un jeune cinéaste de 26 ans. Il transforme un classique film de fantômes, avec maison hantée, en une ode vibrante à l'amour maternel.

On pouvait voir aussi des films latinos à la Quinzaine des réalisateurs.
"La influencia" est une production méxico-espagnole réalisée par Pedro Aguilera qui fut assistant de Carlos Reygadas sur "Batalia en el cielo". Il traite de la déchéance d'une jeune femme désorientée et vulnérable avec deux enfants. Le scénario est trop linéaire et convenu pour éveiller l'intérêt du spectateur.

"Mutum" est un film brésilien de Sandra Kogut. "Mutum" veut dire "muet", c'est aussi le nom d'un oiseau noir et c'est le nom d'un endroit isolé du Nordeste où vivent Diego, dix ans, et sa famille. Le film est vu par son regard qui va s'affronter à celui des adultes : trahison, violence, mort…Bien sûr le sujet est très dramatique, mais le fait que tout soit vu par les yeux de l'enfant, lui donne une belle richesse.

Une journée du cycle des Cinémas du monde était consacrée cette année à la Colombie. Pas de véritable découverte, contrairement au Chili de l'an passé, mais quatre films pour nous montrer que le cinéma colombien existe et essaye et de se développer.
Si l'Amérique latine n'a présenté qu'un seul film en compétition officielle, qui a été primé d'ailleurs, ce ne sont pas moins de quinze films qui furent proposé dans différentes sections de ce 60ème festival.. Quatre de ces films au moins, mériteront qu'on y revienne au moment de leurs sorties en France : "Stellet licht" de Carlos Reygadas (Mexique), "El baño del papa" de Enrique Fernandez et César Charlone (Uruguay), "XXY" de Lucia Puenzo (Argentine) et "Mutum" de Sandra Kogut (Brésil). Il montre la diversité du cinéma latino dans les différents pays de ce continent.