17 juin 2010

Festival: Cinema d'Amerique latine. Toulouse 2010

Les 22es Rencontres Cinémas d'Amérique latine de Toulouse, qui se sont déroulées du 18 au 28 mars, ont proposé plus de 200 films de genres et de formats différents (longs et courts métrages, fictions, documentaires, rétrospectives), accompagnés de rencontres et de débats.

Parmi les films inédits en compétition que nous avons vus, citons Agua fria de mar de Paz Fábrega (Costa Rica). Sur la côte pacifique, Mariana accompagne son mari qui participe à un projet touristique. Elle rencontre sur la plage une petite fille qui lui raconte sa vie à sa façon puis disparaît. Mariana, très perturbée, cherche à retrouver l'enfant. De belles images de plages et de forêts, une petite fille qui vit sa vie et une jeune femme paumée, tout cela ne suffit pas à faire un film mêlant critique sociale et psychologie du couple.

Alamar de Pedro González Rubio (Mexique) : un jeune enfant qui vit en Italie avec sa mère vient passer ses vacances au bord de la mer des Caraïbes avec son père et son grand-père dans une maison sur pilotis, près d'un banc de corail peu protégé. L'enfant de la ville va découvrir la nature et la vie simple de ces pêcheurs. Plaidoyer pour la protection du milieu naturel, le film manque d'éléments narratifs plus développés pour être vraiment réussi, mais a obtenu le prix de la presse de la première œuvre (Fipresci).

Turistas de Alicia Scherson (Chili) : après une dispute avec son mari sur la route des vacances, une jeune femme se retrouve seule, avant de rencontrer un touriste norvégien qu'elle accompagne dans un camping en pleine nature. Cette retraite lui permettra de faire le point sur sa vie parmi des gens plutôt étranges alors que la modernité se rapproche. Alicia Scherson – qui avait réussi il y a quelques années Play (2005) – est aussi la scénariste de Ilusiones ópticas (2009), deux films urbains. À découvrir lors de sa sortie.

Viajo porque preciso, volto porque te amo, de Karim Aïnouz et Marcelo Gomes (Brésil), se déroule dans les lieux déserts du sertão (nord-est du Brésil). José, un géologue, fait des relevés en vue du percement d'un canal qui pourra apporter vie pour les uns, mais aussi obligation de quitter leurs terres pour les autres. En fait, José a accepté cette mission parce que son amie, botaniste, l'a quitté. Grâce à l'utilisation de différentes techniques (vidéo, super 8, photos, etc.), ce film devient un road movie onirique qui le rend aussi énigmatique que captivant. Il obtient le Grand Prix Coup de cœur des 22e Rencontres. Karim Aïnouz est connu depuis Madame Satã (2002), un très beau film sur un travesti. Marcelo Gomes est également le réalisateur d'un long-métrage intéressant, Cinéma, Aspirines et Vautours (2004), histoire d'un vendeur ambulant qui assurait sa publicité en projetant des films.
Le prix du public "Intramuros" a récompensé deux films (ex aequo) : El hombre de al lado de Gastón DUPRAT et Mariano COHN (Argentine) et El último verano de la Boyita de Julia SOLOMONOFF (Argentine). Ce dernier film, aussi troublant que sensible, porte sur l'ouverture à la sexualité et à la notion de normalité dans ce domaine. À voir absolument lors de sa sortie en septembre.
La compétition Découvertes concernait des premiers ou seconds longs métrages. On peut dire qu'il s'agit d'un cinéma en émergence, fait avec peu de moyens et en numérique. Le prix de cette section est allé à El vuelco del cangrejo de Oscar Ruiz Navia (Colombie).

Le prix "Court toujours" a été attribué au court métrage El reino animal de Ruben Mendoza (Colombie). D'autres courts métrages ont été remarqués : Marina la esposa del pecador de Carlos Hernández (Colombie), Teclópolis, animation, de Javier Mrad (Argentine), Adieu Général, animation réalisée sur téléphone portable, de Luis Briceno (Chili).

Le jury des documentaires a récompensé le lyrique Quebradeiras de Evaldo Mocarzel (Brésil), sur la vie des femmes, très politisées, cueilleuses de noix de babaçu, variété poussant naturellement à la lisière de la forêt amazonienne.

Les Rencontres sont également riches par leurs panoramas des films déjà présentés dans des festivals ou distribués au cours de l'année : Hiroshima, le dernier film du réalisateur de Whisky, Pablo Stoll (Uruguay), La invención de la carne de Santiago Loza (Argentine), primé en 2009 à Cinéma en construction, La buena vida, le film choral de Andrés Wood (Chili), Gigante de Adrián Biniez (Uruguay), primé à Berlin en 2009, Rabia de Sebastián Cordero (Colombie-Espagne). Et la liste n'est pas exhaustive.

On attendait beaucoup de Molochs tropicaux du Haïtien Raoul Peck, tourné l'an dernier dans la citadelle du roi Christophe, qui relate la dernière journée au pouvoir de Jean de Dieu, despote du pays. Mais quelle n'a pas été notre déception ! Le réalisateur a voulu faire de ce tyran, copie du président Aristide, un personnage faible, machiste et coléreux, cependant digne d'une certaine sympathie. On est très loin de la personnalité complexe de l'horrible Janvier, personnage capital du premier film de Raoul Peck, L'Homme sur les quais (1992). Les personnages féminins, plus intéressants, ne sauvent cependant pas le film.

Les sections parallèles étaient consacrées au cinéma mexicain (films sur la Révolution et films contemporains), à la célébration du bicentenaire des indépendances d'Amérique latine et au cinéma LGBT (lesbien, gay, bi, trans).

Cette dernière section reprenait une dizaine de films. On peut se demander comment dans un sous-continent aussi machiste, l'homosexualité peut se vivre et se montrer. Les travestis du Brésil sont bien connus et ont été le sujet de la remarquable Madame Satã. Fraise et Chocolat montrait l'existence de l'homosexualité à Cuba en 1993 alors que le régime la niait. Les films réalisés aujourd'hui, que l'on projette dans leur pays d'origine plutôt dans les cinémathèques, sont réalisés par d'anciens étudiants en cinéma. D'une certaine manière, le Mexicain Carlos Regadas avait ouvert la voie avec Japón (2002), approche bien particulière de la sexualité : il relatait la rencontre d'un chemineau et d’une vieille paysanne. En revanche, le cinéma lesbien réalisé par des femmes n'existe, semble-t-il, pas encore. Cette section présentait aussi l'œuvre du cinéaste mexicain Julián Hernández. Dans la lignée de Reygadas, il filme de longs plans de désir où généralement les amants ne se parlent que rarement. Le problème, c’est que d’un film à l’autre le procédé se répète trop souvent. Les images sont très belles, mais assez vides même si elles se veulent pleines de désir.

L’Argentin Marco Berger, avec Plan B, film qui devrait bientôt sortir en France, s’intéresse aux rapports de séduction. Laura quitte Bruno pour Pablo. Pablo va alors tenter de séduire Bruno. On se croirait un peu dans un des Contes Moraux d’Éric Rohmer, mais Marco Berger manque sans doute de maturité pour rendre vraiment attachante cette histoire.

Cinéma en construction accueille des professionnels pour donner les moyens au réalisateur d'un film déjà tourné de le terminer. Le jury a choisi un film colombien Los colores de la montaña de Carlos César Arbeláez.

Une dizaine d’expositions complétaient la manifestation. Celle des graphistes mexicains mettait entre autres en avant les héros de la révolution de façon ludique (vus par Andres Mario Ramirez Cuevas), ou utilisait des phrases-chocs réinterprétées par Alejandro Mongallanes.

Les Rencontres 2010 étaient très riches. Dommage que l’on ne voie plus de films des cinéastes importants de ces dernières décennies, comme Littin ou Ripstein.


Alain LIATARD