17 juin 2010

Conversation avec Emilio Paccul

Rencontre avec Emilio Paccul


A l’occasion de la projection de « Héros fragiles » en avant-goût du festival Documental qui se déroulera du 3 au 8 mai, nous avons demandé à Emilio Paccul, son réalisateur né au Chili, de nous expliquer comment il avait conçu son documentaire.
Emilio Paccul n’est pas un débutant. Sous l’Unité populaire, après des études de sociologie, il s’est inscrit dans la nouvelle école de cinéma. Cela lui permet de devenir l’assistant de Costa-Gavras qui tourne au Chili « État de siège » en 1972. Il le suit à Paris en 1973 pour s’inscrire à l’école de cinéma, l’IDHEC (qui est devenue aujourd’hui la Fémis), dans la section image.
Après sa sortie de l’École, il sera, en France, l’assistant de Costa-Gavras à nouveau, de François Truffaut et d’autres.
Il réalise son premier film, un film de fiction très personnel « Terre sacrée », en 1988, puis de nombreux documentaires, en particulier pour ARTE.

Au moment de la sortie de « Héros fragiles », en mai 2007, il avait déclaré : « C’est un film historique, politique, sentimental. Je connais mes propres sentiments sur cette histoire. Je connais aussi la plupart des personnages que je vais rencontrer au cours de mon tournage. Je sais que la confrontation de ma subjectivité au réel fera émerger quelque chose de nouveau ».
Pour lui, le documentaire, même s’il est une enquête, implique la subjectivité car il n’est pas possible de faire un film froid et impartial. L’auteur doit s’investir dans son projet.
« Héros fragiles » interroge des témoins du coup d’état de 1973. Au moment de l’attaque de la Moneda, le palais présidentiel, Augusto Olivares, beau-père du réalisateur, et conseiller de Allende va se donner la mort, peu avant le Président.
« Il y donc interaction entre les sentiments et les regards, et il m’a fallu plus de 30 ans pour pouvoir remonter à cette époque afin d’en tourner un film ».
Pour ce faire, il a utilisé un fil conducteur : le réalisateur est présent à l’image avec un cahier sur lequel il a collé des photos. « Cela me permets de faire un lien entre réalité et fiction à travers un certain voyage intérieur ».
Dans son film, il va interroger non seulement sa mère, les amis de son beau-père, des militants de l’Unité populaire, mais aussi des responsables de la chute du régime, militaires, conseillers états-uniens ou grands patrons. Comment s’y prend-t-il à ce moment-là ?
« Il faut être patient, écouter » Pour l’interview du patron des patrons, la rencontre a duré plus de deux heures, mais le personnage ne s’est vraiment découvert que vers la fin de la rencontre. Certains entretiens n’apportent que des banalités et n’ont pas été conservés. Pour avoir de bons entretiens, il faut que les personnes aient « le goût de vivre, de la vitalité et du talent. »
« Le complot,dit-il, annonce la fin de l’utopie et le début d’un monde uniformisé, lisse, un monde sûr pour les puissants et fragile pour les faibles, un monde dominé par l’hégémonie de l’économie sur l’humain ».
Vers la fin du film, le réalisateur va à la Moneda accompagné de sa fille âgée d’une vingtaine d’années. Il a filmé cette scène parce qu’il voulait montrer le regard d’une jeune fille sur les événements passés.
Pour lui, elle représente, à coté des amis de l’époque, la notion de l’héritage, de ce qu’il reste de cette époque, du recul qu’elle peut avoir sur l’Histoire.
Avec « Héros fragiles », nous voyons que le documentaire n’est pas une simple copie de la réalité. C’est une manière de l’analyser et de la mettre en scène. Filmer n’est jamais innocent, c’est toujours un point de vue.

Alain Liatard