17 juin 2010

Biarritz 2009

Biarritz 2009, le festival des nouveaux cinéastes latinos



Le 18e Festival Biarritz Amérique latine – cinémas et cultures – s'est déroulé du 27 septembre au 4 octobre devant un nombreux public. Ce festival comprend des rencontres universitaires et littéraires ainsi qu'un village avec expositions de photos et peintures, artisanat et concerts, mais il était axé cette année plus particulièrement sur le cinéma.

Trois compétitions : l'une consacrée aux longs métrages de fiction, la deuxième aux courts métrages et la troisième aux documentaires. Parmi les dix longs métrages, on peut retenir El Cuerno de la abundancia ("la corne d'abondance") qui est le 6e film du Cubain Juan Carlos Tabío, connu surtout comme le coréalisateur avec Tomás Gutíerrez Alea de Fresa y Chocolate et de Guantanamera. Ses premiers films étaient Se permuta (1983) et Plaff (1988). Dans ces films, la vie est agréable ; il y a à boire, à manger et les appartements sont confortables, même si la bureaucratie y est omniprésente, stupide et tatillonne. Vingt ans plus tard, tout va plus mal : La Havane est complètement dégradée et il n'y a plus beaucoup d'espoir. Quand on demande au réalisateur pourquoi le film est si noir, il répond : "l'art dépeint la réalité et lui renvoie sa propre image" mais qu'"il a cependant voulu faire une comédie parce que l'humour peut permettre au spectateur de réfléchir". Les spectateurs ont apprécié ce film (qui a remporté le prix du public) qui parle d'un éventuel trésor du XVIIIe siècle que les Castiñeiras se partageront s'ils arrivent à vaincre les nombreux obstacles qui se dressent sur leur chemin.

Au Nicaragua, une jeune fille des quartiers populaires, Yuma, veut échapper à la drogue et à la pauvreté en devenant boxeuse. Elle rencontre un étudiant qui l'attire mais leurs deux mondes sont trop différents. Cependant, elle découvrira l'univers du cirque. Venue du documentaire, Florence Jaugey, une Française qui vit au Nicaragua depuis une vingtaine d'années, a su trouver des interprètes non professionnels pour donner vie aux personnages de La Yuma. Dommage que le film ne figure pas au palmarès.

Dans une petite ville du Chili, d'un côté une clinique de chirurgie esthétique qui licencie et de l'autre, le centre commercial tout en verre. Des histoires personnelles vont s'imbriquer dans ces lieux. Il ne faut pas en dire plus. Ilusiones ópticas se déroule souvent sous la pluie, il est traité avec humour et plutôt bien interprété par sa ronde de personnages attachants. Le réalisateur, Cristían Jiménez, explique : "depuis que la société chilienne est dirigée par le pouvoir de l'argent, elle a perdu le sens de la solidarité".

La Nana, le second film chilien, est un peu le coup de cœur du festival. Catalina Saavedra a reçu le prix d'interprétation féminine et le réalisateur, Sebastián Silva, le prix du jury des jeunes Européens et le prix de la Critique. Il est sorti en France le 14 octobre. Raquel est la bonne des Valdes. Elle a élevé les enfants, délaissé sa famille et n'a rien d'autre au monde. Quand on décide de prendre une seconde bonne pour la décharger, Raquel tend des pièges aux nouvelles et les obligent à démissionner jusqu'au jour où arrive Lucy, jeune provinciale pleine d'humour… Le réalisateur connaît bien la réalité de ces familles nombreuses et égoïstes et de ces bonnes qui parfois y trouvent refuge et prison. S. Silva est un autodidacte, "peu cinéphile", dit-il, mais, peintre et auteur de bandes dessinées, il peut établir un scénario rigoureux et transmettre à ses collaborateurs ses idées de composition et de couleurs.

La Sangre y la lluvia de Jorge Navas est un thriller nocturne violent. Ce portrait de Bogotá pluvieuse dévoile l'anxiété, les passions et les souvenirs mais est vraiment trop stéréotypé.

L'autre film colombien, la Pasión de Gabriel, se passe dans un village de montagne, accessible par une passerelle branlante. L'armée ne s'y aventure pas trop et la guérilla reste dans la montagne. Gabriel en est le curé au grand cœur ; il est amoureux et veut élever les villageois, mais se mêle un peu trop de tout. Ce film de Luis Alberto Restrepo est lui aussi un peu trop stéréotypé même s'il montre assez bien une Colombie rurale avec sa pauvreté et ses passions politiques.

Los Paranoicos de Gabriel Medina (Argentine) suit les tribulations de Luciano, un écrivain qui remanie sans arrêt son premier scénario. Il a deux amis, l'un qui est à l'hôpital et le jovial Manuel qui revient d'Espagne avec Sofia que Luciano hébergera quelques jours. Daniel Hendler, le merveilleux interprète de Whisky, tient honnêtement le rôle de Luciano qui lui a valu le prix d'interprétation masculine. Le jury ne s'est pas arrêté là et a décerné à ce film sympathique mais un peu mou, son prix.

Le prix du meilleur long métrage est allé à Cinco días sin Nora de la Mexicaine Mariana Chenillo. Nora, juive pratiquante, vient de se suicider. Cependant la vieille dame avait préparé sa veillée funèbre afin d'obliger son athée d'ex-mari à accomplir ses dernières volontés. Mais la religion juive est très rigoureuse et réservée à l'égard des suicidés. Plutôt bien réalisée et bien interprétée, cette première œuvre aborde un sujet très proche de la réalisatrice. L'humour – revendiqué dans la plupart des films – donne du tonus à ce récit.

Du côté des courts métrages, la sélection était très inégale. Il faut retenir le grand prix, Distancias, de Matías Lucchesi (Argentine), histoire d'un gamin qui disparaît lorsque la voiture de ses parents, qui disputent, s'arrête. Sans oublier El Hombre muerto, beau film uruguayen en noir et blanc de Julián Goyoaga, ni le plus rebelle de la sélection, Espalhadas pelo Ar (prix du jury des jeunes Européens), réalisé au Brésil par Vera Egito.

Du côté des documentaires, le grand prix Union latine et le prix du public sont allés à Mi vida con Carlos (Chili-Espagne) de Germán Berger Hertz, qui retrace le voyage d'un fils à la recherche de son père et aussi l'histoire d'un pays qui ne veut plus se souvenir. Des mentions ont été attribuées à Los que se quedan (Mexique) de Juan Carlos Rulfo et Carlos Hagerman sur les familles des émigrés mexicains et à La Chirola (Bolivie-Cuba) de Diego Mondaca qui trace en 26 minutes le portrait d'un ex-guérillero qui, à sa sortie de prison, se réadapte grâce à ses chiens.

À côté des 15 films en compétition se tenaient les rencontres professionnelles de documentaristes latins organisées par l'Union latine sur lesquelles nous reviendrons.

Un évènement : la projection de La Passion de Jeanne d'Arc, film muet de 1927, réalisé par Carl Dreyer, avec une musique adaptée de la partition d'époque de Léo Pouget et Victor Allix (version avec chœur) par le chef argentin Santiago Chotsourian qui dirigeait l'Orchestre régional Bayonne / Côte Basque. L'occasion pour de nombreux spectateurs de découvrir ce chef d'œuvre.

Depuis l'an dernier, la sélection est consacrée essentiellement aux nouveaux réalisateurs. Il nous reste l'envie de voir les films les plus récents des auteurs latino-américains confirmés qui nous ont fait connaître la diversité de ce sous-continent… et ont contribué à l'essor de ce festival convivial.

Alain LIATARD